jeudi, février 20, 2014

Financements Publiques / Société Civile : M. Choubani fait parler les chiffres à sa guise


Le gouvernement vient de mettre le monde associatif sous les feux de la rampe en lâchant (encore une fois) quelques chiffres sur les montants des subventions publiques qui ont été injectées en 2013 dans les comptes des associations.

Le chiffre qui a été dévoilé cette semaine par une brochette de ministres PJDistes peut paraitre important … Il l’est sans doute : 1,6 milliard de dirhams de subventions allouées au titre de l’année 2013.  

A cette occasion, M. Lahbib CHOUBANI, ministre en charge du secteur associatif depuis l’avènement du Gouvernement BENKIRANE, n’a pas manqué bien évidement de semer lui-même le doute sur le sérieux et la probité des structures qui bénéficient de ces subsides : manque de gouvernance, absence de justificatifs, absence de contrôle.

Bien évidemment, M. Choubani ne laisse pas passer l’occasion pour lancer l’autre chiffre médiatiquement important : plus de 220 millions de dirhams de financement étrangers pour quelques 150 ONG marocaines.

On se rappelle de sa fameuses liste (il fallait bien qu’il ait la sienne… on n’est pas ministre PJD sinon) de l’année dernière sur la même thématique.   

M. Choubani oublie bien évidement de préciser qu’il s’agit là d’un montant déclaratif que seules les associations les « mieux » structurées et les « plus » transparentes rendent publique. Souvent, ce genre de fonds est obtenu dans le cadre d’appels à projets des bailleurs de fonds européens bien connus (U.E., Ambassades, Fondations, ONG internationales). M. CHOUBANI connait sans doute les filières plus discrètes qui inondent les associations d’un certain genre. Je ne pense pas qu’aux associations dites « Islamistes » qui se financent auprès du Wahabisme Khaliji, mais aussi de ces centaines d’associations qui reçoivent les contributions généreuses de nos MRE.

M. Choubani n’a pas jugé utile de préciser la provenance de ces subventions (ou alors c’est la faute aux journalistes puisque je ne retrouve aucun document sur le site du Ministère).

On comprend des différents articles que j’ai pu lire que les 1,6 milliards de dirhams représentent l’effort consenti pas son gouvernement, mais sans préciser si ce montant englobe les subventions octroyées par les collectivités territoriales (on parle de 660 millions de dirhams), les différentes agences (ADS, Agence de Développement…), les offices et autres entreprises publiques.

Depuis les deux années où il est en charge de ce département, M. Choubani a laissé filer des chiffres variant entre 2 et 8 milliards de dirhams de financement publiques dédiés à la société Civile.

Aucune précision non plus sur la place des fonds alloués dans le cadre de l’INDH.

Cela dit, la véritable bombe lâchée par le Ministre ne semble avoir retenu l’attention de personne : plus de 72% du 1,6 milliards de dirhams de subvention ont été destinés aux fondations et autres associations s’occupant des œuvres sociales dépendant des ministères et autres entreprises publiques.  

Autrement dit, l’Etat Injecte 1,16 milliards de dirhams dans ces structures.

En général, ces fondations et associations des œuvres sociales de tel ministère ou tel office s’occupent en premier lieu du bienêtre de leurs adhérents fonctionnaires relevant de leur personnel : villages de vacances, accès à la propriété, aides diverses (aïd, mariages, baptêmes, obsèques…), colonies de vacances, retraites complémentaires, couverture maladie complémentaire, bourses d’excellence…

La plus emblématique parmi ces associations est sans doute le COS ONE ou encore la Fondation Mohammed VI de Promotion des Œuvres Sociales de l’Education-Formation.

En général, chaque département, chaque office ou chaque entreprise publique dispose de son COS. Les Rbatis les connaissent très bien pour la qualité (ou pas) de leur club de sport.

La gestion de ces structures a toujours été entourée d’un certain flou artistique volontaire. Souvent abandonnés aux syndicats, les départements de tutelle (au plus haut niveau) ont toujours plus ou moins réussi à les utiliser comme des soupapes sociales : les syndicats sont contents de gérer quelques millions de dirhams et les fonctionnaires sont heureux de pouvoir bénéficier d’un bungalow a deux sous pour passer leurs vacances.

Autant dire que la transparence, la rigueur et la bonne gouvernance ont – d’un commun accord – été laissées au second rôle, avec les conséquences que l’on peut imaginer. Quelques exemple ici : Lire article de La vie Eco , Lire Article l’Economiste ; Lire Article Aujourd’hui le Maroc).

Enfin, les chiffres de M. Choubani ne montrent pas  la répartition qui est faite de ces 1,16 milliards de dirhams.

Les Œuvres sociales ne sont pas mises sur un pied d’égalité et l’écart-type est énorme. Il dépend en partie des effectifs de l’administration ou de l’office en question, mais pas que. Le poids politique du ministère et/ou du syndicat rentre aussi en jeux. Les fonctionnaires des collectivités locales, ne sont pas ceux de la Justice, de l’équipement, ou encore de l’intérieur.  

Et lorsque le Roi s’en mêle, une Fondation d’œuvre sociale se retrouve catapultée comme l’a été par exemple la Fondation Mohammed VI de Promotion des Œuvres Sociales de l’Education-Formation qui bénéficie d’une subvention égale à 2% de la masse salariale des deux ministères (Education et enseignement supérieur) et qui bénéficie d’une organisation et d’une gestion quasi irréprochable.

Ce constat invite deux questionnements.

1/  Peut ont réellement considérer ces 1,16 milliards de dirhams comme des aides aux associations ?

2/ Peut-on se plaindre du manque de transparence lorsque l’essentiel des aides vont vers des structure plus ou moins directement sous la tutelle de des départements ministériels ?

Je me risque à des réponses :
1-      Pour une meilleure lisibilité de efforts consentis par le gouvernement au bienêtre de ses fonctionnaires, j’aurais personnellement valorisé ces 1,16 milliards de dirhams dans un cadre plutôt RH. Il est tout à fait normal (c’est même un devoir) que l’employeur s’investisse ainsi dans la valorisation de son capital humain.  Les COS ont permis à plusieurs générations de marocains de découvrir les vacances et ont été de véritable catalyseur du dynamisme de plusieurs stations et centres d’estivage. Que serait Sidi Bouzid son COS ONE, Immouzzer sans ses colonies de vacances, Ifrane sans ses chalets, et le tennis sans ses Clubs (Equipment, Justice, BAM….).
Donc non seulement, il ne s’agit pas à mes yeux de fonds destinés à des associations, mais compte tenu des sommes importantes, il s’agit pour l’état de se doter d’une véritable vision et d’une politique sur son action pour la promotion des œuvres sociales, de manière à en garantir l’efficacité, l’équité et l’impact.
2-      Il est important que le Gouvernement prenne ses responsabilités pour imposer la rigueur et la transparence nécessaires dans la gestion de ces structures. C’est son rôle entant que bailleur de fonds, c’est son devoir en tant que partenaire social, et sa mission en tant que dépositaire de la confiance (et des impôts) des marocains.  

Donc à y voir de plus près, ce ne sont plus 1,6 milliards de dirhams qui vont dans les caisses de la « société civile » mais seulement 450 millions de dirhams que se répartissent ainsi une grosse poignée d’associations.

Sur ce montant, près de 50 millions de dirhams ont été alloués à des associations qui ont investi un secteur qui a été abandonné par l’état : la gestion des orphelinats, des centres sociaux et autres centres d’accueil pour personnes vulnérable.

Les 400 millions restant sont destinés, le plus souvent à couvrir les défaillances de l’Etat dans plusieurs secteurs sociaux, éducatifs, environnementaux, économiques …

Ce que Lahbib Choubani omet de dire aussi, c’est que ces aides et ces financements accusent très souvent le grands retards, auxquels s’ajoute  la grande complexité procédurale et que vient  compliquer le manque flagrant de fiabilité des engagements de l’Etat. Les exemples sont malheureusement très nombreux.

Tout acteur associatif qui se respecte ne peut qu’applaudir devant la volonté affichée de l’Etat de mettre de l’ordre dans le domaine.

J’ai personnellement salué le fait d’ériger « les relations avec la société civile » au rang de département ministériel (la tutelle réelle reste cependant entre les mains de l’Intérieur et du SGG).  

L’avènement de la commission de dialogue avec la société civile a aussi été une chose positive et j’attends avec impatience (mais avec beaucoup de scepticisme aussi depuis que j’ai assisté à une de ses réunions) ses conclusions.

Toutefois, j’ai le sentiment que M. CHOUBANI a pris le dossier par le mauvais bout. Ce dont le secteur associatif a besoin ce n’est pas d’un ministre qui se contente d’être une caisse de résonance des accusations, parfois justifiés et souvent populistes, sur les financements « occultes » et sur « la rente associative » mais plutôt d’un département qui donne enfin un véritable cadre juridique et institutionnel pour favoriser son développement.